«Il existe un certain flou juridique quant à la question du hasard»
Par Pascal REYNAUD, avocat, le 14/01/2013
Avocat au barreau de Strasbourg, Pascal Reynaud nous explique les subtilités liées au jeu d’argent sur internet : les jeux interdits, les recours pour les joueurs en cas de souci avec un opérateur, et même la difficile question des jeux d’adresse sur le web.
KUZEO.com : « Bonjour Maître Reynaud. Pouvez-vous rappeler quelles ont été les évolutions de la loi de 2010 visant à libéraliser les jeux d’argent en ligne depuis près de 3 ans maintenant ? »
Pascal Reynaud : Après une première phase euphorique en 2010, le retour à la réalité n’a pas été sans difficulté. Ce qui a provoqué un certain pessimisme chez les professionnels. Est-on passé à un troisième stade plus « apaisé » ? A-t-on déjà atteint le point d’équilibre recherché par l’ARJEL ? Le débat est ouvert…
Ce qui est sûr, on connait mieux les difficultés du régime légal français des jeux libéralisés en 2010, qu’il s’agisse des taxes, des multiples contraintes légales et administratives, de l’avantage concurrentiel donné aux opérateurs historiques biens installés... Le point positif est l’existence d’un régime légal français, ce qui était loin d’être évident il y a encore quelques années.
Une autre certitude : pour se conformer aux exigences de l’ARJEL, il convient d’être très solidement doté sur le plan commercial, financier, technique et juridique. Le marché est loin d’être ouvert à tous…
« Quels sont les jeux d’argent aujourd’hui interdits en France ? »
Il vaut mieux poser la question en sens inverse : quels sont les jeux d’argent légaux à l’heure actuelle ? Le principe reste quand même l’interdiction des jeux d’argent en France sauf exceptions.
On peut distinguer 3 types de jeux d’argent légaux : les jeux d’argent « en dur », les jeux d’argent sur internet, et enfin les jeux promotionnels et les jeux « gratuits ».
- Pour les jeux « en dur », on retrouve tout d’abord l’ensemble des jeux proposés par le PMU et la FDJ. Ils bénéficient d’un statut très particulier et sont bien sûr légaux. Viennent ensuite les casinos en dur et les cercles de jeux autorisés. On trouve enfin les loteries et lotos traditionnels proposés lors des fêtes foraines ou dans un but caritatif. Attention, ces deux dernières exceptions sont aussi très encadrées juridiquement.
- Sur internet, en droit français, un opérateur « privé » ne peut que proposer du Poker, des paris sportifs et hippiques et rien d’autre. De plus, il faut un agrément de l’ARJEL pour proposer ces jeux. Seule la FDJ a la possibilité de proposer des jeux de grattage et de tirage payants. Dès lors, toute loterie payante et tout jeu de casino en ligne sont interdits s’ils sont proposés par d’autres que la FDJ sur le territoire français.
- Reste enfin les jeux « gratuits » et les jeux « promotionnels » qui sont en pleine ébullition. Les choses se compliquent ici, la loi étant moins claire… Nous parlerons du cas spécifiques des skill game (jeu d’adresse) à la question suivante.
Tout d’abord, il est licite de proposer aux consommateurs des jeux d’argent pour promouvoir un produit ou un service. Il faudrait être aveugle pour ne pas le voir... Depuis 2011, on peut même proposer, à certaines conditions, des jeux promotionnels uniquement à ses propres clients, c’est-à-dire concevoir des jeux « avec obligation d’achat ».
La question est ici de savoir sur quoi porte « l’obligation d’achat » et donc la dépense du client ? Si cette dépense est faite pour l’acquisition d’un bien ou d’un service clairement identifié distinct du jeu, il n’y a pas de souci, le jeu est en principe licite, sous réserve de satisfaire au droit de la consommation.
Il est plus douteux que de simples frais de participation aux jeux d’argent correspondent aux exigences légales de gratuité. En effet, il s’agit de dépenses faites pour jouer et le Code de la consommation pose la règle de la gratuité du jeu promotionnel… (cf. Article L121-36 Code de la consommation). Mais surtout, le droit pénal des jeux d’argent retient la dépense du joueur comme un des critères de l’infraction. Donc il convient d’être prudent à ce niveau.
Cependant nous voyons de nombreux jeux dits « promotionnels » avec des dépenses de participation définitives, par exemple des SMS surtaxés… Il y a sans doute un risque pénal ici en l’absence de clarification de la situation par les tribunaux.
Le moyen qui semble pour l’instant le plus souvent utilisé pour contourner cette interdiction est d’offrir le remboursement des frais de jeux aux clients. Les tribunaux assimilent « gratuité » et « remboursabilité » des frais de jeu. Attention, la mise en place de ce type de solution reste fragile et soumises à de multiples précautions... Mais dans les faits, peu de consommateurs demandent ce remboursement si les « mises/dépenses » sont faibles. Il suffit de faire un tour sur les sites de jeu de TF1 par exemple pour voir des exemples concrets de jeux « gratuits » car remboursables…
« Il semble qu’il existe un flou juridique au niveau des jeux d’adresse (les fameux Skill Games). Qu’en est-il de la législation pour des sites comme GameDuell qui permettent de gagner de l’argent en jouant aux fléchettes ou à la belote en ligne par exemple ? »
Oui, il existe un certain flou quant à cette question du hasard. Le hasard est un des éléments constitutifs des infractions en droit pénal des jeux. Dès lors, en théorie, il suffit de supprimer le hasard dans la détermination du gagnant pour ne plus risquer de poursuite en cas de jeu d’argent payant.
Mais il y a plusieurs difficultés dans ce raisonnement. Il est tout d’abord difficile de définir ce qu’est le hasard. Il y a très souvent un aléa dans toute activité de jeux. On remarque aussi que derrière le critère du hasard se cache celui de la « dangerosité sociale » du jeu d’argent. Les autorités agissent si elles estiment que le jeu est dangereux en terme d’addiction ou de blanchiment, peu importe la place du hasard et avec le risque d’un certain arbitraire dans les poursuites.
Enfin, la loi française interdit les « appareils de jeux dont le fonctionnement repose sur l’adresse » (L.324-2 CSI & ancien art.2 de la loi de 1983 sur les jeux de hasard). Est-ce applicable à internet ? C’est une question ouverte car a priori cette disposition n’a jamais été appliquée pour les jeux d’adresse sur internet.
« Que risquent les opérateurs de jeux d’argent illégaux ? Et les joueurs qui misent de l’argent par exemple sur des casinos en ligne installés à l’étranger ? »
Pour les opérateurs illégaux français, la loi prévoit de nombreuses sanctions jusqu’à 3 années de prison et 90 000 euros d’amende, plus de lourdes sanctions fiscales (cf. les dispositions des articles L324-1 et suivants du Code de la sécurité intérieure pour être plus complet). Le risque n’est pas théorique…
Pour les opérateurs étrangers, le risque le plus probable est une coupure de l’accès à ces sites étrangers pour les internautes français, par les fournisseurs d’accès à internet français, suite à procédure franco-française. Je ne rentrerais pas ici dans le débat sur les possibilités de contourner cette coupure pour les joueurs français. Les responsables de ces sites devront aussi éviter de se rendre en France pour éviter les gardes à vue…
Après, il existe tout le dispositif du droit pénal international. Ce n’est pas le lieu d’en expliquer les principales dispositions. Simplement, on peut remarquer qu’il est peu appliqué en matière de jeu à ma connaissance.
Les joueurs français ne sont pas inquiétés en pratique par la justice pénale. Il n’existe qu’une disposition pénalisant les joueurs concernant les paris hippiques, sauf erreur de ma part. Le principal risque pour le joueur est de se faire « escroquer » sur des sites peu fiables.
Attention aussi à la fiscalité des gains des joueurs qui est une autre question en pleine évolution. On retrouve ici le fameux État « croupier » qui cherche avant tout des rentrées fiscales…
« Certains joueurs se plaignent d’avoir été trompés, même sur des sites de paris sportifs ou de poker légaux, parfois même après avoir participé à un jeu-concours. Que peuvent-ils faire juridiquement pour se faire entendre ? »
Il y a ici un vaste territoire à défricher, à savoir le droit de la consommation appliqué aux jeux d’argent. Il faut donc avoir recours aux mécanismes très protecteurs du droit de la consommation.
Il reste qu’en cas de petit préjudice pour le joueur, le recours à un avocat n’est pas forcément très judicieux car celui-ci est rarement gratuit. Les associations de consommateurs et la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes) peuvent aussi avoir un rôle à jouer. Enfin, il reste le dispositif lié à la lutte contre l’addiction aux jeux mais qui se place plutôt sur le terrain de l’assistance psychologique et de l’information.