«Sauf exception, les gains des jeux de hasard ne sont pas taxés»
Par Virginie BENSOUSSAN-BRULE, avocate, le 13/02/2013 | 1 commentaire
Nous l’avions interrogé avant l’ouverture à la concurrence du marché des jeux en ligne il y a près de 4 ans. Aujourd’hui, Maître Bensoussan-Brulé nous fait le plaisir de répondre à nos questions sur la protection des joueurs en ligne, leur vie privée, ainsi que leur fiscalité : doit-on payer des impôts sur nos gains ?
KUZEO : « Bonjour Maître Bensoussan-Brulé. Pouvez-vous nous expliquer comment la loi de 2010 protège les joueurs en termes de limitation des mises ? »
Virginie Bensoussan-Brulé : La loi du 12 mai 2010 a organisé l'ouverture du secteur des jeux d'argent et de hasard à la concurrence en poursuivant trois objectifs : un encadrement strict au regard des enjeux d'ordre public, de sécurité publique et de protection de la santé et des mineurs.
Ces trois objectifs doivent dicter la politique de l'État en matière de jeux d'argent et de hasard afin de :
- prévenir le jeu excessif ou pathologique et protéger les mineurs ;
- assurer l'intégrité, la fiabilité et la transparence des opérations de jeu ;
- prévenir les activités frauduleuses ou criminelles ainsi que le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ;
- veiller au déploiement équilibré et équitable des différents types de jeu afin d'éviter toute déstabilisation économique des filières concernées.
Concernant plus précisément l’obligation de participer à la lutte contre le jeu excessif ou pathologique, les opérateurs doivent, en autres, mettre en place des mécanismes d'autoexclusion et de modération et des dispositifs d'autolimitation des dépôts et des mises. Mais il s’agit avant tout d’un système fondé sur la coresponsabilité entre les opérateurs, les joueurs et les structures chargées d'expertiser les dispositifs mis en place pour lutter contre l'addiction au jeu.
Concrètement, dès l'ouverture d'un compte joueur, l'opérateur est, tout d'abord, tenu de demander au joueur d'encadrer sa capacité de jeu par la fixation de limites d'approvisionnement de son compte et d'engagement des mises. Aucune opération de jeu ne peut être effectuée tant que le joueur n'a pas fixé ces limites.
Ces limites s'appliquent, d'une part, au montant cumulé des approvisionnements réalisés par le joueur par période de sept jours et, d'autre part, au montant cumulé des mises engagées par le joueur par période de sept jours.
Le joueur peut modifier ces limites à tout moment. Cependant, lorsqu'il augmente l'une ou l'autre, la modification prend effet au plus tôt dans un délai de deux jours francs à compter de sa saisie par le joueur. Lorsqu'il diminue l'une ou l'autre, la modification est en revanche d'effet immédiat.
« En 2011, la CNIL et l’ARJEL se sont associées pour contrôler les opérateurs de jeux ? De quelle manière ? Le montant des sommes misées par un joueur sur un site de jeux d’argent légal relève-t-il de sa privée ? »
En effet, en 2011, la Cnil et l’Arjel se sont associées pour contrôler en commun l'activité des opérateurs de jeux ou de paris en ligne agréés. A cette fin, les opérateurs mettent à la disposition permanente de l'Arjel des données portant, par exemple, sur l'identité du joueur, son adresse postale et son adresse de courrier électronique et sur le compte du joueur, notamment sa date d'ouverture et les références de son compte.
Dans la mesure où les opérateurs collectent un certain nombre de données personnelles, il était alors nécessaire d’encadrer leur champ d’action.
Les sites de jeux en ligne doivent informer les joueurs au moment de leur inscription des raisons pour lesquelles leurs données sont collectées et des destinataires de ces données. Ils doivent aussi informer les internautes de leurs droits d’accès, de rectification et de suppression.
Toute personne qui crée un compte joueur sur un site agréé de jeux en ligne peut en effet demander à l’opérateur d’accéder à l'ensemble des données collectées la concernant et obtenir la rectification ou la suppression des données.
De plus, dès le mois de mai 2011, la Cnil a effectué plusieurs contrôles sur place auprès d’opérateurs de jeux ou de paris en ligne agréés par l’Arjel afin d’apprécier le respect, par ces derniers, de leurs obligations Informatique et libertés issues de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée.
« Autre point pour lequel les joueurs nous contactent beaucoup, celui des casinos en ligne. Ils ne sont pas légaux en France à l’inverse des casinos en dur. Pouvez-vous nous expliquer la loi française en la matière ? Qu’en est-il de nos voisins européens ? »
La loi de 2010 a mis en place pour les opérateurs autorisés un droit de proposer une offre licite de jeux en ligne. Mais qu'entend-on par jeux « en ligne » ?
La loi précise qu'il s'agit de jeux « dont l'engagement passe exclusivement par l'intermédiaire d'un service de communication au public en ligne ».
Cependant, la loi de 2010 n'autorise pas tous les jeux de hasard en ligne. Seules trois catégories de jeux ont été autorisées par la loi :
- les paris hippiques ;
- les paris sportifs ;
- les jeux de cercle.
Plus précisément, aux termes de l’article 14 de la loi précitée, s'agissant des jeux de casino et des jeux de cercle seuls sont autorisés « les jeux de cercle constituant des jeux de répartition reposant sur le hasard et sur le savoir-faire dans lesquels le joueur, postérieurement à l'intervention du hasard, décide, en tenant compte de la conduite des autres joueurs, d'une stratégie susceptible de modifier son espérance de gains ».
Les catégories de jeux ainsi visées, ainsi que les principes régissant leurs règles techniques sont fixés par décret.
Le périmètre de l’ouverture à la concurrence est ainsi limité s’agissant des types de jeux autorisés. La commercialisation en ligne des jeux de hasard hors poker, tels que machines à sous, roulette ou blackjack, reste prohibée.
Le 23 octobre 2012, la Commission européenne a adopté la Communication « Vers un cadre européen global pour les jeux en ligne ». Basée sur une consultation publique approfondie, cette communication présente un plan d’actions visant à apporter des clarifications dans l’Union européenne pour le bénéfice des autorités nationales, des opérateurs, des secteurs économiques liés tels que les medias, et les consommateurs.
Dans ce cadre, la Commission européenne a constaté qu’un nombre croissant d'États membres de l’Union européenne ont entrepris ces dernières années un examen complet de leur législation nationale sur les jeux d'argent.
La réglementation du jeu en ligne dans les États membres se caractérise par une grande diversité des systèmes réglementaires. Quelques États membres interdisent de proposer des jeux de hasard sur Internet, que ce soit pour tous les jeux ou pour certains types d’entre eux, tels que le poker et les jeux de casino (Allemagne, Pays-Bas). Dans certains pays européens, des monopoles proposant des services de jeu en ligne ont été mis en place (par exemple, la Finlande, le Portugal, la Suède). Ceux-ci sont gérés soit par un opérateur public contrôlé par l'État, soit par un opérateur privé détenteur d'un droit exclusif.
Un nombre croissant d'États membres a toutefois mis en place des systèmes de licences de sorte qu'il puisse y avoir plusieurs prestataires sur le marché (par exemple le Danemark, l’Estonie, la France, l’Italie, l’Espagne).
Les États membres peuvent, par ailleurs, restreindre ou limiter l'offre transfrontière de tous types de jeux de hasard en ligne ou d'une partie d'entre eux en raison d'objectifs d'intérêt général qu'ils cherchent à préserver.
« Un autre sujet préoccupe les joueurs, il s’agit de leur taxation. Clairement, un joueur doit-il déclarer aux impôts ses gains au jeu et dans quelles mesures ? Une taxe est-elle vraiment envisageable ? »
Sauf circonstances exceptionnelles, les gains réalisés à l’occasion de la participation, même habituelle, à des jeux de hasard ne sont pas taxés.
Une taxe visant les joueurs de poker réguliers est parfaitement envisageable dans la mesure où des propositions de loi en ce sens ont déjà été déposées.
Le ministère du Budget a, par ailleurs, publié au Journal officiel le 15 novembre 2011 une réponse à une question de Madame Filippetti concernant la position de l'administration fiscale sur l'imposition des gains aux jeux d'argent :
« Les gains réalisés à l'occasion de jeux, même pratiqués de manière habituelle, ne constituent pas, au sens de l'article 92 du code général des impôts, une occupation lucrative ou une source de profits devant donner lieu à imposition. Toutefois, selon la doctrine publiée de l'administration fiscale (référencée 5 G-116 n° 8 61 et 119), sont imposables au titre de la catégorie des bénéfices non commerciaux, les gains réalisés par les joueurs professionnels dans des conditions permettant de supprimer ou d'atténuer fortement l'aléa normalement inhérent aux jeux de hasard. Cette position est pleinement applicable à la pratique habituelle du jeu de poker, y compris en ligne, dès lors que le jeu de poker ne peut être regardé comme un jeu de pur hasard et sous réserve qu'il soit exercé dans des conditions assimilables à une activité professionnelle. L'imposition des gains ainsi réalisés par des joueurs de poker est d'ailleurs confirmée par la jurisprudence (tribunal administratif de Clermont-Ferrand, le 21 octobre 2010, n° 09-640, Petit). La position de l'administration fiscale apparaît par conséquence très claire ».