«Pour créer un jeu grand public qui marche, c’est le parcours du combattant»
Par Patrick MAIGNAN, créateur de jeux, le 14/02/2010 | 1 commentaire
Aujourd’hui, c’est un véritable « créateur de jeu » que nous rencontrons. Si les jeux comme le Sudoku paraissent simples en apparence, c’est en réalité un gros travail qu’il y a à fournir pour parvenir à une idée qui plaira au grand public, sur le long terme.
Et le diffuser ensuite sur internet relève du défi, étant donné le nombre de jeux gratuits qui pullulent sur la toile.
Kuzeo : « Bonjour. Pouvez-vous retracer votre parcours dans le monde du jeu ? »
Patrick Maignan : La première idée de faire un jeu m'est venue il y a une dizaine d'années, lorsque j'ai discuté avec une personne qui possédait un jeu de plateau qui ressemblait à un jeu de dames au format voyage. J'ai demandé à cette personne de quel jeu il s’agissait et elle m'a dit qu'elle inventait des jeux de société et les proposait à des éditeurs. Cela m'a donc donné l'envie d'en faire autant.
J'ai commencé à créer un premier jeu de plateau basé sur le code de la route. J'ai mis plusieurs mois pour le mettre au point puisque j'étais novice en informatique. Ensuite, je me suis rendu à Paris au Salon du jeu qui a lieu une fois par an. J'ai pu y présenter mon jeu à divers éditeurs présents sur place et j'ai tout de suite compris que cela ne serait pas facile pour les convaincre. Ce jeu m'a inspiré pour créer un autre jeu de 132 cartes sur lequel j'ai commencé à travailler en 2002 et après des années de travail, j'ai pu l'éditer en novembre 2006 à trois milles exemplaires. J'ai rassemblé toutes mes économies car j'étais convaincu que je ne pouvais pas compter sur l'aide d'un éditeur.
Ce jeu de cartes s'assimile à un jeu de familles avec une mécanique de jeu inédite et innovante qui permet de faire jouer simultanément plusieurs personnes de tous âges. C'est donc un jeu de famille car les enfants, adolescents et adultes peuvent y jouer ensemble. Le nom que j'ai donné à ce jeu est "Une Journée Bien Remplie" car on y rencontre des situations que l'on peut rencontrer tout au long d'une journée.
J’ai ensuite créé un autre jeu de 110 cartes basé sur le thème du tri sélectif. En 2005, j'ai commencé à fabriquer un premier prototype après avoir pris en photos mes déchets ménagers pour pouvoir imprimer les cartes. Au fil du temps, j'ai pu améliorer la règle du jeu de façon à la rendre facile à jouer, agréable, ludique et éducative. En novembre 2007, j'ai édité ce jeu à 3 000 exemplaires. Je l'ai présenté à des organismes publics et privés et j'ai été très déçu de voir leur manque d'intérêt sur un jeu basé sur un thème d'actualité en rapport avec leur activité.
En février 2009, j'ai voulu créé un troisième jeu basé sur le calcul mental. J'ai voulu choisir un autre support que les cartes et orienter sa diffusion sur le format papier. J'ai donc édité un livret de 42 grilles qui consiste à trouver des chiffres en effectuant du calcul mental. Le premier avantage est que l'édition d'un livret de ce type revient moins chère qu'un jeu de cartes et il permet d'être joué sur un ordinateur comme c'est le cas du Sudoku.
« Comment se passe la création d'un jeu, de A à Z ? »
La création d'un jeu consiste donc à passer les étapes suivantes :
- Trouver le thème du jeu et décider du support sur lequel il va être fabriqué : cartes, plateau, dés, etc…
- fabriquer un premier prototype
- le tester avec des amis, membres de la famille
- le tester avec un public différent : ludothèque, festivals du jeu de société, centres d'animations, etc…
- demander des devis à différents imprimeurs
- obtenir le financement pour éditer le jeu sachant que les prix unitaires sont dégressifs selon les quantités commandés
- faire connaître son jeu pour pouvoir le vendre, le distribuer par les moyens suivants : en le présentant aux magasins spécialisés, en le proposant sur son propre site internet et d'autres sites de vente par correspondance, en le proposant aux divers éditeurs, en le présentant aux organismes où se trouvent des enfants (ludothèques, centre aères, centres de vacances, etc…).
« Vous êtes très présent dans les presses régionales. Comment les commercialisez-vous ? »
Il est très difficile pour avoir un article dans la presse locale ou nationale qui parlerait du jeu que vous venez d'éditer. C'est aussi un moyen de se faire plaisir à soi-même, à sa famille et ses amis qui verront votre photo dans le journal. Je suis très septique de l'impact que cela peut provoquer auprès des lecteurs qui veulent acheter vos jeux ou vous suivre sur un projet quelconque.
Je pense qu'un passage télé sur une grande chaîne de télévision peut avoir un impact beaucoup plus important mais il faut faire preuve de patience car même avec un jeu sur le thème du tri sélectif, les médias ne se bousculent pas pour parler de vous sur leur antenne.
Je commercialise donc mes jeux par mes propres moyens en les présentant aux organismes privés et publics : ludothèques, centres de vacances, centres aérés, festivals du jeu de société. Cela permet de rencontrer le public et constater leur intérêt pour les jeux. J'ai proposé des prototypes à divers éditeurs pour essayer un moyen de diffusion plus rapide et plus important.
« Vous plairez-t-il que vos jeux deviennent des "jeux d'argent" en y mêlant le hasard et la chance, ce qui supposerai que les joueurs puissent miser de l'argent pour y jouer ? »
Les jeux d'argent existent sur internet et que des gens prennent du plaisir à y jouer et je me dis que l’on pourra en effet les adapter en jeux d'argent par la suite. En tous les cas, internet est un excellent moyen pour faire connaître un produit quelconque au grand public et c'est ce coté positif qu'il faut retenir même si certains abus sont possibles.
Un jeu de société peut aussi devenir un "cadeau" offert sur les sites spécialisés qui permettent de gagner de l'argent et des lots d'une valeur de quelques euros. Je serai très heureux de voir mes jeux faire partie de ces lots.
Pour conclure, ce que je vis grâce aux jeux de société est très valorisant, très riche en émotions, occupe bien mon temps, me permet de rencontrer beaucoup de monde. Mais malheureusement, les créateurs de jeux de société qui vivent de leurs jeux se comptent sur les doigts de la main. Le parcours du créateur de jeux est un vrai parcours du combattant qui demande d'avoir des qualités dans plusieurs domaines : il faut avoir de l'imagination, du temps, des connaissances en informatique, le sens du contact, être patient et bon commercial. Quand je vois des gens qui jouent à mes jeux et qui y prennent du plaisir, cela me procure une grande satisfaction que ne peuvent connaître ceux qui copient les idées des autres…