«Les paris sportifs gardent un potentiel plus élevé que le poker»
Par Emmanuel BENICHOU, spécialiste des jeux en ligne, le 22/09/2011
Comment se porte le marché des jeux d’argent en ligne en France ? Il est moins bon que prévu pour les opérateurs, mais des modifications fiscales pourraient leur permettre de souffler un peu. Quel est le comportement des joueurs français depuis plus d’un an et quelles sont les tendances : ce sont les questions que nous avons posées à Emmanuel Benichou, consultant en matière de jeux en ligne.
Emmanuel a exercé plusieurs fonctions dans l’internet, Responsable Internet de Fiat Auto, Directeur E-business Europe de General Electric, puis rejoint l’industrie du jeu en 2004 pour assurer le développement France d’Expekt ainsi que de la gestion de projet au sien du siège. Il rejoint ensuite PartyGaming puis Full Tilt Poker pour les aider à appréhender les marchés francophones. Il a dirigé récemment le développement de la filiale technologique Française du Groupe Lottomatica, GTECH-G2.
KUZEO : « Comment va le marché français plus d'un an après la libéralisation des jeux d'argent en ligne ? »
Emmanuel Benichou : Le marché est plus que morose, pour résumer jusqu’à juin 2011 voici quelques données :
Paris sportifs
- 741 m€ de mises cumulées depuis l’ouverture du marché, dont 293 m€ misés au premier semestre 2011.
- La part des mises sur le football représente 57% des mises totales (423 m€), tandis que le tennis rassemble 25% (187 m€).
- 137 m€ de PBJ cumulé, dont 58 m€ au premier semestre 2011.
- Le livebetting représente 50% des mises.
- Le TRJ (Taux de Retour aux Joueurs) hors bonus s’élève à 80,3% au 1er semestre 2011 et 5,5 m€ de bonus ont été distribués en 2011.
Jeux de cercle
- Le montant cumulé des mises en cash-game s’élève à 7.480 m€, dont 3.774 m€ au premier semestre 2011.
- Le montant cumulé des droits d’entrée aux tournois s’élève à 962 m€, dont 550 m€ au premier semestre 2011.
- Globalement sur les deux activités, 298 m€ de PBJ cumulé, dont 159 m€ au premier semestre 2011.
- Le TRJ hors bonus s’élève à 96,3% au 1er semestre 2011 et 34 m€ de bonus ont été distribués en 2011.
Paris hippiques
Le montant cumulé des mises en paris hippiques s’élève à 955 m€, dont 496 m€ au premier semestre 2011.
- 209 m€ de PBJ cumulé, dont 111 m€ au premier semestre 2011.
- Le TRJ hors bonus s’élève à 77,7% au 1er semestre 2011 et 7,3 m€ de bonus ont été distribués en 2011.
Concernant le nombre de comptes actifs, s’il progresse pour le poker sur la période Juin 2010 / Juin 2011 multiplies par 3, il augmente légèrement pour le pari hippique et s’effondre pour le Pari sportif (divisé par 6).
A la vue de ces chiffres il est assez facile de dire que le marché est catastrophique.
« Que faut-il améliorer ? »
Beaucoup de points restent à améliorer en voici quelques-uns :
- Une modification de l’existant : Le montant des taxes bien sûr mais surtout l’assiette de celle-ci appliquée aux Produits Brut des jeux redonnerait un peu de dynamisme au marché. Il serait aussi judicieux de penser à une ouverture vers d’autres produits tels que le casino ou le bingo et surtout le retail (Pari Hippique & sportif Offline).
Nous avons à ce jour un marché comme l’Italie qui a été donné en exemple dans la période pré-ouverture en France et qui peut être considéré comme une régulation équilibrée des jeux en lignes. Ce marché est dynamique, profitable pour tous. Le principe de réalité du marché des jeux sur internet pousse l’Italie à proposer 1.000 licences de jeu offline ainsi que la possibilité d’ouvrir 16.000 betting shop. Ce qui en fera le marché le plus attractif d’Europe, des sociétés pas encore intéressée par celui-ci jusqu’ici, sont d’ores et déjà prêtes à y entrer.
- Plus de diversité dans l’offre actuelle. Il me semble opportun d’augmenter le nombre de compétitions sur lesquelles parier cela est plus important que le nombre de sport en lui-même. Il faudrait aussi autoriser les paris à handicap.
- Il est aussi intéressant de se pencher sur les distorsions de concurrences entre les ex-monopoles et les nouveaux entrants, ces premiers ont bénéficiés de dizaines d’années d’investissements sur leurs marques et utilisent cette notoriété ainsi que les revenus des jeux offline pour investir en ligne.
De plus, pour des jeux comme le pari Hippique l’accès à une masse de joueurs est prépondérante car elle influe sur les cotes, l’impossibilité à un opérateur d’avoir accès à une masse importante ne lui permet pas de proposer des cotes compétitives face à celles du PMU. Il serait possible de donner accès à la masse commune du PMU, tout comme lors du développement de l’internet en France où les opérateurs privés ont eu accès aux lignes de France Telecom.
- Il faut renforcer la lutte contre les sites illégaux. Le niveau de taxation en France renforce l’intérêt des opérateurs privés offshore ce qui nuit à l’intérêt du marché local et ne protège pas les joueurs. Selon IPSOS, 800.000 joueurs jouent sur les sites étrangers. Et certains opérateurs de casino feraient des dizaines de millions d’euros de chiffre d’affaires par mois.
« Quels sont vos prévisions pour la clause de revoyure de cet automne ? »
Je ne vois pas de changements importants, cependant il faut absolument que cela change pour sauver un secteur qui est sinistré. C’est d’autant plus important que les opérateurs ont une santé financière fragile et leur disparition serait préjudiciable pour l’économie du secteur des jeux en ligne et ne verrait pas la confirmation d’un champion Français. Tous appellent à un changement !
Des ajustements auront lieu très certainement sur le Taux de Retour aux Joueurs, l’assiette des taxes et donc leur montant, probablement aussi sur les comptes joueurs et l’Ethique. Si c’est confirmé, le marché retrouvera une bouffée d’oxygène salvatrice à court et moyen terme mais il faudra revoir l’offre globale dans un second temps.
Concernant le calendrier, il est à mon avis raisonnable de penser que cela se fera fin décembre au moment du vote de la loi de finance pour une application début 2012.
Actuellement une forte activité se déroule afin de faire adopter ces modifications dans le projet de loi de finance examiné en octobre 2011.
« Qu'est-ce qui explique la plus grande réussite du poker par rapport aux paris sportifs ? »
Le poker a déjà rencontré son marché ce qui n’est pas le cas du Pari sportif. Le nombre d’émissions de poker est important depuis plusieurs années. De plus le gain en argent à moins d’impact sur les joueurs de poker qui, avant tout, jouent pour le plaisir. Je précise aussi que le potentiel de développement reste élevé, nous avons que peu d’opérateurs significatifs sur le marché malgré les 25 présents et seuls ceux contrôlant leur propre réseau résistent.
Pour le Pari sportif, les parieurs subissent plus directement la taxation ainsi que la limitation du Taux de retour aux joueurs car les cotes sont directement impactées par ces paramètres. Nous avons aujourd’hui un marché du Pari Sportif qui n’a pas d’intérêt avec de faibles cotes et peu d’offre de compétition sur lesquelles parier.
En ce qui concerne les opérateurs de paris hippiques, à part le PMU, seul ZEturf est peut-être en mesure de tenir le coup.
« Pensez-vous le marché encore trop jeune et les Français pas encore prêts à parier de l'argent sur le sport ? »
Le marché n’est pas encore à sa maturité, si les potentiels de développement restent élevés, ils sont inégaux. Les Paris sportifs et hippiques gardent un potentiel plus élevé que le poker qui est déjà bien installé. Mais dans un marché naissant qui ne réunit pas encore tous les leaders européens, beaucoup d’évènements interviendront dans les 18 prochains mois. En France, malgré une omniprésence des jeux (sms, etc..) à la TV, la radio, il n’y a pas une réelle culture de pari sportif, celle-ci pénalise le secteur qui n’est pas passé par cette phase d’éducation du consommateur.
« Pensez-vous qu'il ne restera que quelques opérateurs de jeux dans les années à venir, avec la fermeture des moins costauds ? »
Très certainement les petits operateurs auront des difficultés à exister face aux leaders européens, certains sont déjà fermés. Lorsque la FDJ aura amélioré son offre et sera au niveau, que des sociétés telles que Ladbrokes, Lottomatica, Sportingbet, Churchill down, Pinnacle, auront trouvé un modèle économique pour être présentes sur le marché, les places deviendront encore plus chères.
« Etes-vous optimiste quant à l'ouverture aux jeux de grattage et de casinos ? »
Je suis assez pessimiste à court terme concernant l’autorisation de ces jeux. Il faut imaginer que le secteur des jeux ne pèse pas grand-chose et qu’en période électorale personne ne prendrait ce risque ; les jeux de casinos heurtent frontalement l’offre des casinotiers terrestre et les jeux de grattage celle de la FDJ.